Les marchés publics: la corruption règne à ciel ouvert

La grande partie des budgets des Etats est consommée à travers les marchés publics. Mais, en Afrique la transparence laisse à désirer dans la passation de ces marchés. La vigilance à ceux qui gagnent les marchés comme aux autorités contractantes reste à maintenir. Le Burundi et le Sénégal, deux pays africains attirent notre attention dans cet article.

Partout au monde les marchés publics consomment une bonne partie du budget de l’Etat. Mais  dans la plupart des pays sans bonne gouvernance solide les marchés publics constituent un des canaux de détournement de l’argent public. Au Burundi, pays de l’Afrique de l’Est, la situation est alarmante. Malgré la volonté affichée par les autorités actuelles, le détournement de l’argent public reste une triste réalité. Des exemples illustratifs ne manquent pas. Une somme de 54 milliards BIF soit 25 millions de dollars  est volatilisée lors de la construction du barrage hydroélectrique de Mpanda à l’ouest du pays. Les travaux de construction avaient commencé en 2011 et se sont arrêtés en 2017 avec nul résultat.  Pourtant, selon les prévisions ce barrage devrait fournir 10,4 MW. Malheureusement, toutes les autorités ne se limitent qu’à faire des visites de constat car personne n’a été inculpée dans cette affaire. Déplorable. Les cas de corruptions sont plus qu’un au Burundi. Un autre  marché qui étonne c’est aussi la construction de barrage hydroélectrique Kabu16 dont la production devrait atteindre 20 MW. Les travaux de construction de ce barrage devraient commencer en 2012  mais c’est en 2017 qu’ils ont débuté pour s’achever en mars 2023. Pourtant, depuis 2020 les travaux sont à l’arrêt.  Interviewé à ce sujet de corruption dans les marchés publics, Faustin Ndikumana activiste de la société civile et Directeur de l’association  Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (PARCEM) indique qu’il est lamentable que les autorités du pays assistent sans aucune sensibilité au cas de vol fragrant de l’argent public.

La corruption est à l’origine de la faillite des projets publics

Les signes précurseurs de la corruption se remarquent même dans le processus de passation des marchés publics. Cette passation s’entache souvent des irrégularités. Les appels  d’offres sont publiés avec des retards sans précédents remarque Faustin Ndikumana, activiste burundais de la société civile. Mais derrière le jeu se cache le favoritisme et les pratiques de corruption. Les conséquences sont sans précèdent. Par exemple « Aucune trace de document de la réalisation du marché de barrage hydroélectrique Kabu16 », regrette Faustin. Dans ce contexte, une lueur d’espoir est loin d’apparaitre. Les vieux démons se réveillent toujours. Néanmoins,  « le code des marchés publique et d’autres textes de lois de ce secteurs sont authentiques mais leur mise en pratique laisse à désirer », constate Gabriel Rufyiri activiste contre la corruption au Burundi et président de l’association Observatoire de Lutte contre la corruption et les Malversations économiques (OLUCOME). A titre illustratif, le code de travail dispose en son article 45 la publication officielle de la prévision des marchés publics mais cela ne se fais jamais.

Qui se cache derrière la non publication prévisionnelle des marchés publics ?   

Les autorités contractantes retardent délibérément la passation des marchés publics, reconnaît Audace Niyonzima, le ministre ayant les finances dans ses attributions. Cette autorité explique que certains agents de l’Etat attendent le mode dérogatoire pour amorcer le processus de marchés publics prévus. Ce ministre n’y va par quatre chemins, il dénote le mode dérogatoire comme un « mode de corruption ». Cette stratégie que les autorités contractantes privilégient leurs ouvre la possibilité de faire recours aux procédures de marché de gré à gré et d’entente directe. Ces types de marchés sont attribués sans appel d’offre et bonjour la corruption et détournement des finances publiques. Au moment où l’article 104 du code de marchés publics en vigueur dispose que les marchés de gré à gré et d’entente directe ne dépassent pas 10 % de budget géré par les autorités contractantes, Gervais Ngiringwa, Directeur Général de la Direction Nationale de gestion et contrôle de marchés publics au Burundi fait savoir qu’au cours du premier trimestre de cet exercice budgétaire 2023-2024, les marchés de gré à gré et d’entente direct ont  déjà dépassé 19 %. Mais pourquoi que ce soit la Direction Nationale de gestion et contrôle des Marchés publics ou l’Autorité de Régulation des Marchés Publics aucune de ces institution ne dénonce publiquement les défaillants ? Pourtant, 9 milliards BIF représentent une somme détournée à travers les surfacturations au cours du premier trimestre de cet exercice budgétaire en cours de 2023-2024 déjà constatée par la Direction Nationale de gestion et contrôle des Marchés publics.

Si le Burundi serait un bon élève de Sénégal

Transparence, rien que la transparence va sauver le Burundi face à la corruption et détournement de fonds publics. Toutefois, une pilule difficile à avaler chez les autorités contractantes burundaises.  Pourtant, C’est une réussite apparente chez les autorités contractantes sénégalaises. Il suffit de taper sur le site internet de l’Autorité de Régulation de Marchés publics (ARMP) du Burundi et celui de Sénégal, une différence est remarquable. Au Sénégal le plan prévisionnel de marchés publics est publié sur le site alors qu’on Burundi le document n’apparait nul part pour toutes les autorités contractantes. Interviewé sur les stratégies de la réussite du Sénégal en matière de la transparence dans les marchés publics, Saer NIANG Directeur Général de  l’Autorité de Régulation de Marchés Publics (ARMP) au Sénégal raconte : «Nous avons pensé qu’il faut faire une rupture avec les habitudes du passé. Nous avons fait une évaluation et nous avons trouvé que la passation des marchés publics était émaillée de beaucoup de travers. Par exemple 80% des marchés étaient attribués par entente directe. Donc, il fallait remédier à tout cela. La solution reposait sur deux éléments essentiels. D’abord il fallait avoir le personnel de compétences avérées dans la gestion des marchés publics. Ensuite, le management de l’économie de la commande publique constituait le deuxième pilier». Saer NIANG ajoute que le gouvernement du Sénégal a cherché comment faire la commande public un outil de développement économique. Dans ce cadre, la gestion de marchés publics s’articule avec la politique globale de l’Etat. En outre, les stratégies ont été arrêtées entre autres l’indépendance de  l’Autorité de Régulation de Marchés Publics. Le Directeur de ARMP sénégalaise affirme que cette indépendance a été facilitée par les décideurs politiques qui n’ont pas voulu que cette institution ne soit rattachée à aucune autre autorité hiérarchique. Un autre élément ARMP sénégalaise dispose de l’autonomie financière. La transparence de cette institution a aussi anéanti la notion de confidentialité car tout est fait dans la transparence absolue car le plan prévisionnel de passation de  marchés publics est publié chaque fin du mois de décembre. De plus, les marchés à risques sont audités. Donc, tout est rendu public même les plaintes et les décisions y relatives prises. De la même manière, les rapports de  l’Autorité de Régulation de Marchés Publics au Sénégal sont publiés dans les médias à grande diffusion et sur le site de ARMP avant d’être envoyé aux autres autorités du pays concernées. A partir de cet exercice très rigoureux, Saer NIANG affirme que son pays a pu assainir la passation des marchés publics.

La lutte contre la corruption dans la passation des  marché publique est l’une des voies de faire sortir les pays africains dans la pauvreté. Sachez que l’argent de la corruption représente 148 milliard USD dont une bonne partie à travers les marchés publics selon United Nation Economic Commission For Africa.

Salvator Niyonizigiye